Une énigme élucidée : Les « moteurs » Sizaire de l’Abri Chirurgical du Havre
Une énigme élucidée :
Les « moteurs » Sizaire
de l’Abri Chirurgical du Havre
L’approche…
Lors du salon Epoqu’Auto en novembre 2014 à Lyon, notre ami Jean Badré me transmettait l’information, reçue de Thierry Dubois, selon laquelle « des moteurs Sizaire, entrainant des groupes électrogènes, se trouveraient toujours, au Havre, dans des hôpitaux troglodytes datant de la 2ème guerre mondiale… ». J’en discute aussitôt avec Thierry Dubois, présent sur le Salon, qui me donne quelques informations complémentaires. Puis j’oublie un peu cette affaire…
Quelques mois plus tard, pendant l’hiver 2015, je reprends ce dossier et entame des recherches sur Internet. Je ne tarde pas à trouver d’assez nombreuses informations sur ces installations et je consulte le site de l’association « Mémoire et Patrimoine, le Havre 1939-1945 », très bien renseigné : creusées dans les falaises crayeuses par le Service de Défense passive à partir de 1942, 5 installations ont été réalisées, dont une seule est accessible aujourd’hui, située dans l’enceinte de l’hôpital Flaubert, Groupe Hospitalier du Havre, qui en a confié l’animation à l’association.
Je trouve également de nombreuses photos de ce site qui, grâce à l’association, se trouve dans un état de conservation et d’entretien remarquable. Parmi celles-ci – mon sang ne fait qu’un tour – celle du groupe électrogène ; en réalité 2 groupes de puissance différente.
Déception : le moteur du plus gros des deux, bien visible, ne peut être un moteur Sizaire. Il est dit, par ailleurs, qu’il s’agirait d’un groupe (ou d’un moteur) Renault ! Le refroidissement en est assuré par un gros radiateur en 2 parties. Le petit groupe, moins visible serait-il équipé d’un moteur Sizaire ? A priori pas d’un monocylindre, en tous cas, mais peut-être d’un 2 litres Sizaire Frères ? Le suspens va encore durer quelques mois…
Dans le courant de l’été, je parviens à prendre contact par téléphone avec M. Jean-Paul Dubosq, président de l’association qui, après son père, a effectué de nombreuses recherches et publié plusieurs ouvrages sur l’histoire de la dernière guerre au Havre. Je reçois un accueil très cordial et il me recommande de venir visiter l’abri de l’hôpital lors des Journées du Patrimoine. Malheureusement, cette année, c’est le même weekend que notre Rallye Sizaire est organisé à Reims, et je dois décliner l’invitation.
Il complète par ailleurs mes informations sur le sujet : il me confirme que les 4 autres abris, qu’il a visité dans les années 90, situés dans des propriétés privées, ne sont pas accessibles, sont dans des états de dégradation plus ou moins avancés et que, enfin, ils sont totalement déséquipés. Le seul groupe électrogène subsistant serait donc celui de l’hôpital Flaubert.
La découverte !
Devant me rendre en Normandie pendant le weekend du 14-15 novembre dernier, je reprends contact par mail avec M. Dubosq pour lui demander s’il serait possible de visiter l’abri à cette occasion. Nous finissons par convenir que M. Jean-Paul Carnet, administrateur de l’association, nous attendra à l’entrée de l’hôpital Flaubert, rue du Dr Vigné, le samedi 14 novembre à 11 h 30.
Nous y arrivons avec quelque retard et retrouvons M. Carnet qui nous accueille chaleureusement. Nous nous trouvons très rapidement devant une des portes d’accès de l’installation, situées seulement à quelques dizaines de mètres, et ne tardons pas à pénétrer dans ces lieux chargés d’histoire.
En arrivant dans le local des groupes électrogènes, également munie d’une cheminée de ventilation et d’évacuation, je retrouve les lieux vus sur les photos et reconnais immédiatement 2 radiateurs provenant d’automobiles Sizaire Frères, curieusement montés tête-bêche, qui assurent le refroidissement du plus gros des groupes.
Je me rends compte immédiatement qu’ils proviennent de 2 modèles différents de la marque : en haut il s’agit d’une pièce provenant d’un modèle 4 SK, équipé du moteur Hotchkiss AM2 de 2,4 l ; le très gros bac supérieur et les pipes d’entrée-sortie de fort diamètre (env. 50 mm) sont caractéristiques (la circulation s’effectuait par thermosiphon). Ce modèle n’a été construit que pendant l’année 1928 (plus ou moins) à, sans doute, moins de 100 exemplaires.
En dessous, monté à l’envers, un plus classique modèle de 4 RI, dont les pipes ont un diamètre d’environ 25 mm. L’inférieure (actuellement placé en haut) avec sa forme caractéristique, tournée, dans son usage normal, vers la pompe à eau. La pipe supérieure orientable étant tournée à l’envers dans son utilisation actuelle. La fabrication de ce modèle s’est étendue sur les années 1924-1928 environ, à un peu moins de 600 exemplaires.
Un curieux bidouillage permet le raccordement entre les 2 éléments. Sur chacun des bacs supérieurs (le bac du radiateur inférieur se trouvant en bas !), on retrouve le badge émaillé propre à la marque Sizaire Frères, les lettres « SF » entrecroisées, en bleu sombre sur fond blanc. Les plaques des fabricants des radiateurs, non lisibles en l’état, sont présentes au bas des faisceaux. Aucun des 2 bouchons n’est présent. En l’absence de ventilateurs (peut-être déposés depuis ?), l’efficacité du système pouvait être assez relative.
Le gros groupe pourrait avoir une puissance d’une trentaine de kVA. Il est entrainé par un moteur Aster (ou L’Aster, selon la plaque d’identification), un 4 cylindres à essence de forte cylindrée. Il doit s’agir d’un ancien groupe (ou petit moteur de propulsion) marin car le collecteur d’échappement semble comporter une enveloppe d’eau. Le contrôle de la pression d’huile de lubrification est assuré par un manomètre de marque Delahaye, provenant sans doute de chez le même démolisseur automobile que les radiateurs.
Le second groupe, de 5 à 8 kVA, sans doute, est entrainé par un petit moteur à 4 cylindres à essence de marque inconnue, certainement un moteur d’automobile. Son radiateur, provenant probablement du même véhicule que le moteur, est monté sur le même châssis.
Les échappements des deux moteurs se rejoignent dans un tuyau fer d’environ 2½″, juste avant un pot de détente qui communique avec la cheminée d’aération et doit échapper à l’air libre.
Un grand tableau électrique sur plaques de marbre, adossé à la paroi, comporte les instruments de contrôle, tension et débit, et les organes de sectionnement Normal/Secours.
L’ensemble, installé il y a plus de 70 ans, et non utilisé, sans doute, depuis 1945, est pratiquement complet et semble en assez bon état, malgré une oxydation assez générale, rouille sur les parties ferreuses et vert de gris sur les radiateurs cuivreux.
Nous visitons, sous la conduite éclairée de Jean-Paul Carnet, l’ensemble du site qui présente un grand intérêt historique et technique et dégage une vive émotion.
En conclusion…
Un visiteur aura, sans doute pendant les Journées du Patrimoine 2014, eu la curiosité d’aller examiner la face avant des radiateurs. Voyant les badges « Sizaire Frères », il en aura conclu qu’il s’agissait d’un moteur de la marque. Ce n’est malheureusement pas le cas, mais la découverte de ces deux radiateurs Sizaire Frères n’en est pas moins émouvante. Les difficultés d’approvisionnement de la période de la construction ont conduit les maîtres d’œuvre à se rendre chez un démolisseur automobile où ils ont pu déposer les radiateurs de 2 voitures qui, bien que rebutées, devaient sans doute être encore complètes … et leur donner une seconde vie, plus longue que la première !
Un grand merci à l’association Mémoire et Patrimoine, le Havre 1939-1945, à ses animateurs et particulièrement à MM. Dubosq et Carnet sans qui cette découverte eut été impossible. Longue vie à l’Association et à l’Abri Chirurgical du Havre…
Jean-Didier HANNEBERT-SIZAIRE – Novembre 2015 JDH/VS151101-NOV15
Sites Internet : http://www.memoire-et-patrimoine-le-havre.fr/vestiges/sites_visitables/42Oabri.htm
http://www.journees-du-patrimoine.com/SITE/abri-chirurgical–havre-1138.htm
http://lehavre76600.canalblog.com/archives/2008/09/22/10668344.html
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